Les services de renseignement des pays arabes : entre pouvoir et facteurs de changement

 

Les services de renseignement des pays arabes : entre pouvoir et facteurs de changement

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Un vent démocratique souffle plus ou moins fort à travers le monde arabe depuis 2011 contribuant à une rupture historique pour cette région. Cependant, comme le rappelle Flavien Bourrat[1], le monde arabe reste un ensemble aux réalités sociales, économiques et militaires très hétérogènes. Sur le plan strictement militaire, nous avons à faire à des acteurs largement inégaux d’un pays à l’autre, en passant de l’exception libanaise à la renaissance irakienne, par l’évolution des piliers militaires en Algérie, en Egypte, en Syrie, ou par la construction d’un acteur de type original en Tunisie, l’équation prend des allures différentes en fonctions des inconnues propres aux préoccupations des États (revendication de puissance, problématique interconfessionnelle, sauvegarde du régime…).

En 2011, le refus de l’armée tunisienne d’appuyer une police au demeurant mieux traitée qu’elle dans le pays, celui de l’armée égyptienne d’appliquer les consignes les plus extrêmes d’un Hosni Moubarak en fin de règne et qui essayait de lui imposer auparavant une succession dynastique, précipitèrent les départs des deux raïs. En revanche, dans une Syrie marquée par des équilibres confessionnels et communautaires plus complexes, la confusion entre la nature alaouite du pouvoir baasiste et celle d’une partie des forces de sécurité, expliquent à l’inverse que le destin de ces dernières soit lié à celui du régime. Le conflit syrien confirme un peu plus chaque jour, le rôle majeur joué par les services de renseignement des états arabes au nom de la sécurité intérieure, de la stabilité régionale et des ambitions régionales de ces états qui se font et/ou se déferont en partie sur ce terrain.

Par ailleurs, si certaines armées souhaitent jouer un rôle politique majeur, comme le cas égyptien peut nous le laisser croire au sortir du récent référendum, sauront-elles convaincre d’établir un partage clair et institutionnalisé des prérogatives avec
les forces politiques sorties des urnes (dont le retour probable des frères musulmans au Caire[2]) ou imposeront elles un contrat ambigu ou chacun temporise en attendant des temps meilleurs, et surveille l’autre à travers un pacte tacite ? Les réponses à de telles questions auront un impact majeur aussi bien sur la construction interne de l’Etat à venir que sur ses relations extérieures futures avec l’occident. Des relations qui en retour agiront sur l’opinion publique arabe. D’ailleurs, prenant acte du renversement des rapports de forces dans de nombreux pays arabes, les services  de renseignements occidentaux ont continué de coopérer et de s’appuyer sur certains services  de renseignement en Irak ou au Liban afin de lutter contre le nouvel ennemi désigné, l’EIIL, et intercepter les djihadistes notamment français et européens actifs au sein de ces organisations terroristes. Depuis plusieurs années, sans que cela ne soit néanmoins admis publiquement, l’État hébreu n’est plus l’ennemi mobilisateur. La menace représentée par le terrorisme islamiste pour la sécurité intérieure l’a relayé loin derrière comme combat existentiel des services.

Parallèlement, nous assistons au redécoupage de nouvelles frontières géopolitiques qui s’étendent aujourd’hui de la frontière sahélo-sahélienne jusqu’aux rivages du golfe Persique, succédant aux anciennes frontières du monde arabe scindées en trois grands sous-ensembles que sont l’Afrique du Nord, le Proche-Orient et la péninsule Arabique[3]. Cette dernière sous-région, conservatrice  et centrée sur ses privilèges et sur ses gisements d’hydrocarbures, conserve et conservera parmi ses priorités, le maintien à distance de l’Iran, mais aussi de l’Irak, la préservation de son système pétro-monarchique et surtout la gestion de l’épineux dossier yéménite qui n’en a pas fini d’inquiéter les monarques du Golfe. Incarnant les préoccupations du CCG[4], l’Arabie saoudite participe largement au remodelage de son environnement arabe, mettant un point d’honneur  à influencer le changement né des printemps arabes[5]. Le prince Bandar qui dirige depuis 2012 les services de renseignement saoudiens s’active ainsi en coulisse pour redessiner les alliances régionales et anticiper les conséquences géostratégiques du rapprochement américano-iranien.

Cela nous amène à nous poser un certain nombre de questions : qui sont les acteurs militaires aux différents niveaux de leur hiérarchie, comment sont fabriquées leurs élites, quelles relations entretiennent-elles avec le reste de la société, avec le système politique, avec leur interlocuteurs extérieurs ? En résumé, sonder les « états d’âme » de ces états et ainsi faire échos à l’auteur britannique John le Carré, qui précisait récemment lors de la sortie de son dernier opus Une vérité si délicate, que « l’âme d’une nation se révèle à travers ses services secrets »[6]. Alors même que la question de leurs rapports à la démocratie se pose en termes nouveaux dans les pays occidentaux, quelle sera la place occupée par les services de renseignement de ces états arabes dans la transition politique à plus long terme ?

Cette conférence nous offre l’occasion de mettre en contexte et en perspectives ces évolutions à l’aune du printemps arabe, du drame syrien et des nouveaux rapports de forces à l’œuvre dans le Golfe.

Comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN

Pour plus d’informations sur le comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN : moyen-orient@anaj-ihedn.org

 


[1] Flavien Bourat est responsable de programmes à l’IRSEM au sein du domaine Sécurités régionales comparées su la région Afrique du Nord et Moyen-Orient
[2] L’Orient XXI info, “l’Egypte en quête d’elle-même”
3 Commissariat général à la stratégie et à la prospective,  31ème Rendez-vous de la Mondialisation – Le monde arabe dans la mondialisation, Paris, 21 septembre 2013, http://www.strategie.gouv.fr/blog/2013/09/31eme-rendez-vous-de-la-mondialisation-le-monde-arabe-dans-la-mondialisation/ et http://cgsp.itislive.com/cgsp-30629
[4] Conseil de Coopération du Golfe
[5] Le Monde, “le grand jeu de l’Arabie saoudite pour étouffer les printemps arabes”, mardi 14 Janvier 2014
[6] Le Nouvel Observateur, Interview de John le Carré dans le numéro du 21/10/2013.

 

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