Réalité virtuelle, réalité française : l’influence culturelle du jeu vidéo de demain

Réalité virtuelle, réalité française : l’influence culturelle du jeu vidéo de demain

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Précisons-le d’emblée, l’étude de l’influence culturelle des jeux vidéos, sortie de la traditionnelle diatribe sur leur possible responsabilité dans les comportements violents des joueurs, est un champ de réflexion extrêmement récent en France et encore étudié de manière ponctuelle et marginale[1]. En sera-t-il toujours de même quand la réalité virtuelle – généralement abrégée en VR – fera irruption de toute sa force sur le marché français, bouleversant les cadres existants ? Rien n’est moins sûr, tant la technologie permet une mutation permanente des relations culturelles internationales qui deviennent à la fois plus diffuses mais paradoxalement plus saisissables.

Pour Julien Chièze, rédacteur en chef du site Gameblog[2] et auteur d’une récente vidéo[3] sur le sujet, cette avancée technologique n’est rien de moins que « le début de la fin de l’enveloppe physique, le moment où nous allons mettre nos intelligences en réseau. Nous ne regarderons plus, nous vivrons ». Cependant, d’autres spécialistes relativisent une démarche qui n’est, selon eux, pas encore aboutie. Thomas Morisset, Doctorant en philosophie à Paris IV Sorbonne sur l’esthétique des jeux vidéo[4], estime ainsi que « la réalité virtuelle est actuellement vendue comme le rêve de l’immersion totale. Ce qui est faux. L’idée que plus on s’arme technologiquement plus la technologie disparaît est un non-sens ». Que faut-il donc attendre de cette innovation technologique à court et moyen terme ? Et marquera-t-elle une rupture partielle ou totale dans le milieu du jeu vidéo ?

L’un des futurs du jeu vidéo ou le futur ?

L’arrivée prochaine d’une première véritable vague de réalité virtuelle, probablement à la fin de l’année 2015 et au début de l’année 2016, est aussi attendue que redoutée et redoutable, et ce à divers titres. Par exemple, la série télévisée britannique Black Mirror illustre les dérives de la virtualisation du monde et les dangers inhérents. Pour autant, l’arrivée de la réalité virtuelle dans le milieu du jeu vidéo semble inarrêtable. Certes, « les jeux vidéo traditionnels continueront d’exister malgré la réalité virtuelle. Ainsi, la 2D aura toujours sa place esthétiquement. Pensons à des jeux comme Papers, Please et Braid conçu par Jonathan Blow » explique Thomas Morisset.

Pour autant, cette technologie se positionne déjà, avant même son accès au mass market, comme l’un des futurs du jeu vidéo, sinon le futur. A tort ou à raison, mais la stratégie de Facebook, Sony et consorts – les parties prenantes – ne fait pas de doute. Le comportement des joueurs[5] lors d’une séance de réalité virtuelle est évocateur : cette technologie impacte les émotions. La peur n’en est que plus effrayante, la souffrance palpable et l’empathie véritablement réelle. Un joueur de First-person shooter (FPS) de guerre sera pleinement en phase avec le soldat combattant en soutien de ses alliés et face à son ennemi, le joueur de Survival Horror ne cessera de se retourner frénétiquement guettant la moindre présence fantomatique dans les angles de mort de son casque. Quant au joueur de jeux de course, il aura certainement un fort mouvement de recul au moindre crash à plusieurs centaines de km/h. Autant certaines influences culturelles du jeu vidéo sont tacites dans ses cadres actuels, autant elles deviendront véritablement perceptibles avec la réalité virtuelle. La manette devrait céder peu ou prou la place aux mouvements du joueur et il faudra réaliser précisément les gestes du personnage, les plus tendres comme les plus brutaux. Pour Julien Chièze, nous aurons à faire à « une influence culturelle surmultipliée » où « la distance entre le sujet et l’objet disparaîtra ». Ceci ne signifiera pas nécessairement la fin de l’écran ou de la manette, en tout cas dans un futur proche, mais permettra l’émergence d’un nouveau dispositif de jeu où les processus d’influence culturelle devraient être encore plus sensibles.

Quel rôle pour la France dans le marché de la réalité virtuelle ?

Dans cette épopée prochaine, la France a bien un rôle décisif à jouer à la fois dans le milieu du jeu vidéo mais aussi dans la totalité de son secteur culturel. Certes, ce ne sera probablement pas le premier pays intéressé par cette technologie et « le boum devrait avoir lieu dans des régions du monde où l’existence physique humaine est moins importante que l’esprit, par exemple au Japon » estime Julien Chièze. Néanmoins, la France a des atouts concrets pour aborder ce saut qualitatif technologique, en plus de pouvoir compter sur les travaux de chercheurs du Centre Européen de Réalité Virtuelle (CERV)[6] et de l’Association Française de Réalité Virtuelle (AFRV)[7].

En premier lieu, la France occupe une place singulière dans le domaine du jeu vidéo. Forte d’éditeurs très différents tels Ubisoft ou Quantic Dream, et de la propagation de l’idée d’une fameuse French Tech, voire French Touch, elle se positionne à la fois sur le marché du mainstream et du jeu d’auteur, comme place des créateurs et lieu des joueurs. La réalité virtuelle peut ainsi être à la fois une chance pour l’analyse des processus d’influence dans le jeu vidéo qui seront exacerbés, mais aussi pour le développement du jeu vidéo en France et plus généralement du secteur culturel français. La récente réaction sur twitter du Musée du Quai Branly à Paris à la suite du report du jeu Zelda Wii U illustre parfaitement la proximité de ces milieux pourtant éloignés en apparence. Proximité et par conséquent problématiques communes.

De plus, la réalité virtuelle nécessitera, outre des développeurs, des architectes pour bâtir les futurs mondes virtuels. La patrie de Viollet-le-Duc et Jean Nouvel, avec ses grandes écoles d’architectures, a ici une place prépondérance à prendre dans cette édification. Devront alors naître de nouvelles formations et de nouveaux métiers. Quoi qu’il en soit, « le jeu vidéo n’est qu’une première étape, cela va se faire par vagues successives » explique Julien Chièze. Il y a fort à parier que bien vite le secteur culturel français, notamment les musées, prendra conscience de l’intérêt de cette technologie et s’équipera de la réalité virtuelle pour développer l’offre touristique, immerger les visiteurs dans des lieux insolites et les inciter à découvrir le riche patrimoine culturel français. Son rôle ne ferait alors que grandir alors qu’une guerre culturelle tacite fait rage, avec le jeu vidéo en première ligne[8]. Les promesses sont bien là, même si certains éléments incitent à être prudent à court-terme.

Des limites et des attentes

Pour l’heure, cette réalité virtuelle présente quelques obstacles. Déjà, la technologie reste encore à perfectionner et peut toujours avoir des effets indésirables[9] sur certaines personnes. En effet, « les vertiges, la fatigue visuelle et l’inconfort du fait de la proximité de l’écran sont autant de facteurs à prendre en compte » souligne Thomas Morisset. Par ailleurs, la réalité virtuelle a un coût global bien palpable qui dépassera la simple possession des fameux casques, comme l’Oculus Rift de Facebook ou le Morpheus de Sony. L’expérience nécessitera certainement un matériel informatique puissant – si ce n’est pour le Samsung Gear VR, compatible avec le Galaxy Note 4 – et des produits annexes, tels le leap motion, pour révéler tout son potentiel. Autrement dit, la réalité virtuelle s’adressera d’abord aux hardcore gamers – joueurs passionnés – ou encore aux joueurs de jeux en ligne, deux profils bien équipés informatiquement et prêts à mettre le prix, plutôt qu’au casual gamer, le joueur occasionnel. « Ce sera d’abord un marché de niche », confirme Thomas Morisset.

Vraisemblablement la démocratisation de la réalité virtuelle devra attendre 2020 pour être complètement achevée. « A cette date, ce sera devenu banal » conclue Julien Chièze. D’ici-là, la France a tout intérêt à prendre en compte cette donnée stratégique dans le développement de ses politiques culturelles et dans son soutien aux industries créatives et culturelles en général. Même si, comme le souligne Thomas Morisset, « il semble peu probable que la grande industrie du jeu vidéo se tourne vers le tout réalité virtuelle. N’oublions pas que l’un des jeux les plus joués aujourd’hui reste Candy Crush développé par King ».

Pierre-William Fregonese
Consultant en stratégie à i2F et Doctorant en science politique
Membre du comité Culture et Influences

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[1] http://www.franceculture.fr/blog-soft-power-2012-02-29-jeu-video-le-futur-du-soft-power
[2] http://www.gameblog.fr/
[3] http://www.gameblog.fr/news/49243-j-ai-quelque-chose-a-vous-dire-la-realite-virtuelle-va-chang
[4] https://ireph.u-paris10.fr/cdr-ireph/les-membres/doctorants/thomas-morisset-594874.kjsp
[5] https://www.youtube.com/watch?v=RjNLvgqZgUI
[6] http://www.cerv.fr/
[7] http://www.af-rv.fr/
[8] http://www.infoguerre.fr/culture-et-influence/modern-economic-warfare-1-le-jeu-video-vecteur-dinfluence-4803
[9] http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/04/04/on-a-teste-pour-vous-les-jeux-en-realite-virtuelle-de-l-oculus-rift_4607507_4408996.html

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