Sécurité au travail : Le rôle des organismes de formation et la réforme de 2014

Sécurité au travail : Le rôle des organismes de formation et l’impact de la réforme de 2014

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Entretien avec Raphaël Morise, Directeur stratégies emploi & compétences chez Othis Formation

La question de la sécurité au travail, qui se pose à toute entreprise en des termes pourtant propres à chacune, se place au cœur d’un système de droits et d’obligations rassemblant de nombreux acteurs, des salariés aux employeurs, en passant par les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) ou encore les organismes de formation. La réforme de 2014 a modifié les processus qui régissent la formation professionnelle, renforçant les obligations des entreprises et complexifiant par là même le rôle joué par les organismes de formations.

Face à la multiplicité des besoins des entreprises en matière de sécurité, l’existence d’un document dit « unique », le Document unique d’évaluation des risques (DUER) peut surprendre. De quelle façon ce document évalue-t-il les différents risques auxquels les entreprises font face pour mieux les y préparer?

Le DUER, ou Document unique (DU) est un document obligatoire imposé par le code du travail que toute entreprise doit mettre en place dès lors qu’elle emploie un salarié.

Souvent perçu comme une contrainte, le DU est un moyen efficace permettant d’établir un programme d’actions de prévention à partir des analyses et évaluations qui y auront été consignées. Les objectifs sont simples :

  • lister et hiérarchiser les risques pouvant nuire aux salariés,
  • prévoir et consigner les actions correctives pour diminuer ou supprimer le risque.

En imposant aux entreprises l’obligation de mettre en place ce document, l’objectif du législateur est de faire émerger une fonction prévention en leur sein et de permettre la mise en place d’un véritable système de management des risques professionnels.

Parallèlement, et en lien avec le DU, nous constatons ces dernières années que la responsabilité de l’entreprise est de plus souvent mise en cause à travers notamment une augmentation sensible de la jurisprudence en sa défaveur. C’est pourquoi la démarche d’élaboration du DU ne doit pas être sous-estimée. En son absence, la simple survenance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle est de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de la faute inexcusable, sauf si l’entreprise apporte la preuve qu’elle a pris toutes les précautions nécessaires pour les éviter ou qu’elle ne pouvait avoir conscience du danger auquel son salarié était exposé.

Il n’existe pas de trame ou de modèle pré établi, et chaque entreprise est libre de le rédiger selon son propre modèle. Par ailleurs, renseigner le document n’est pas en soi suffisant, c’est la démarche d’évaluation et de prévention des risques qui sera appréciée en cas de contrôle ou d’accident.

Certains organismes de formation à la sécurité peuvent accompagner les entreprises dans la mise à jour ou l’élaboration de ce document, nous en établissons ainsi régulièrement.

A titre d’exemple, notre processus est le suivant :

  • information et formation de l’entreprise à la démarche et aux éléments règlementaires auxquels elle est soumise,
  • identification et évaluation des risques, et élaboration des mesures de correction et de prévention,
  • organisation et déploiement des actions à entreprendre (dont l’établissement du DU),
  • consolidation de la fonction de prévention (établissement de l’organigramme de sécurité, affectation des missions de prévention, etc.).

Les organismes de formation offrent un vaste panel de services, certains destinés à toutes les entreprises, d’autres spécifiques à certains secteurs d’activité. Pouvez-vous dresser une typologie des différentes offres et nous expliquer en quoi elles s’adaptent aux risques encourus par chaque entreprise pour mieux l’en prémunir?

Dresser une typologie de ces services est complexe car comme vous le soulignez, l’offre de formation est vaste.

Néanmoins, voici une classification applicable aux formations à la sécurité :

  • la première catégorie relève de la compétence de l’entreprise. Il s’agit de savoir appréhender et gérer les risques professionnels. Les prestations offertes visent à développer l’expertise dans le management et la gestion de la prévention de ces risques. Elles se déclinent en différentes prestations de conseil, d’audit et de formation (ex. : formation préventeur, CHSCT, etc.) ;
  • la seconde catégorie relève plutôt de la compétence du salarié et consiste à lui apporter des réponses opérationnelles pour prévenir les risques qu’il encourt personnellement. Ces prestations doivent être une conséquence de la première catégorie de service.

Parmi ces prestations, nous pouvons encore distinguer deux sous-catégories :

  • Une offre transversale ou générique concernant tous les métiers ou secteurs d’activité. Par exemple, la maîtrise du risque de la conduite d’engins ou du risque incendie ou encore de la santé sécurité au travail (sauveteur secouriste du travail, gestes et postures, troubles musculo squelettiques) ;
  • La seconde sous-catégorie concerne un métier ou une filière spécifique tel le bâtiment (formations échafaudages, utilisation de banches, balisage d’un chantier), la logistique (chargement d’un camion, circulation des engins au sein de l’entreprise…), ou encore l’industrie lourde (travail en atmosphère explosive, à proximité ou au contact d’amiante, soudure).

Quoiqu’il en soit, pour une entreprise qui se focalise sur son métier et ses savoir-faire, il est difficile d’appréhender l’offre de services liée à la prévention des risques professionnels. C’est pourquoi, les organismes de formation s’orientent de plus en plus vers un accompagnement de leurs clients en terme de conseil plutôt que de vente « nue » de produits de formation. En effet, la vente d’une action de formation doit être la conséquence d’une analyse des besoins spécifiques de l’entreprise. Cette démarche est le plus souvent déclinée par l’organisme comme une prestation associée non facturée, permettant de garantir à l’entreprise une réponse adéquate à ses besoins. Pour se prémunir contre les risques professionnels, celle-ci ne doit plus uniquement adopter une démarche de prévention quantitative mais également une démarche qualitative.

Quels sont les acteurs de la formation professionnelle et comment interagissaient-ils jusqu’ici ?

Résumer en quelques lignes l’interaction entre les différents acteurs n’est pas chose aisée, chaque dossier de formation constituant un cas particulier. Néanmoins, et pour tenter de répondre à la question, voici une vue schématique des différentes étapes d’une action de formation avant la réforme de 2014 :

  • L’entreprise définissait ses besoins et achetait de la formation pour ses salariés.
  • Les OPCA finançaient et optimisaient les budgets.
  • Les salariés suivaient les actions de formation et adaptaient leurs compétences en fonction des besoins de l’entreprise.
  • Les organismes de formation répondaient aux besoins du marché.
  • La DGEFP via les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) était garante de la bonne utilisation des fonds de la formation professionnelle.

En quoi la récente réforme de la formation professionnelle a-t-elle modifié ce système ?

L’objectif de cette réforme est de mettre au centre du système la compétence de l’individu. Cette dernière doit être optimisée afin de couvrir les besoins de l’entreprise. Elle doit également permettre la sécurisation du parcours professionnel des individus. Par conséquent, chaque acteur réoriente ses objectifs.

L’entreprise évolue d’une position d’obligation fiscale à une position de contribution au développement des compétences des salariés. Elle est ainsi à la recherche d’une meilleure efficience des formations qu’elle achète et prend en compte ses propres besoins mais aussi le parcours professionnel individuel de ses salariés.

L’OPCA évolue d’une position prioritaire de financeur à une position de conseil pour le développement des compétences. Il étend aujourd’hui plus significativement son champ d’intervention sur l’offre de formation, sa qualité, ou encore l’adéquation des besoins des employés et des entreprises.

Les salariés prennent une place majeure et proactive dans le nouveau système. Ils bénéficient de nouveaux droits pour adapter, développer leurs compétences et ainsi sécuriser leurs parcours professionnels (compte personnel de formation, congé individuel de formation, …)

Les organismes de formation doivent désormais répondre à un besoin de formation non plus uniquement quantitatif mais aussi qualitatif évalué en terme de développement des compétences (évolution des process et de l’efficience des formations dispensées, certifications des parcours, etc.)

L’institution, entendue comme l’ensemble des acteurs publics impliqués, en phase avec les objectifs de la réforme, participe à l’augmentation de l’efficience du monde de la formation professionnelle et de celle relative a la sécurisation des parcours professionnels (financement principal des parcours diplômants ou certifiants, conseil en évolution professionnelle etc.).

Parmi ces différents acteurs, certains sont-ils favorisés par la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions législatives ?

L’objectif de la réforme est de favoriser tous les acteurs.

Cette réforme permet à l’entreprise d’axer son questionnement en termes de compétences générées ou à générer, et donc de performance accrue, plutôt que de subir une démarche d’obligation de formation.

En ce qui concerne le salarié, celui-ci dispose de davantage d’outils pour développer son employabilité et sécuriser son parcours professionnel en acquérant de nouvelles compétences.

Pour l’univers institutionnel, il s’agit d’un véritable gain en termes d’efficacité sociale et économique au travers d’une meilleure employabilité, de la mise en place d’une meilleure sécurisation des parcours et de compétences plus performantes.

La réforme permet également aux organismes de formation, après une période de transition, de repenser voire refonder leurs pratiques et de s’inscrire ainsi dans une démarche d’amélioration continue. Par ailleurs, les besoins d’adéquation aux évolutions des métiers et en compétences accrues représentent un nouveau marché significatif. La réforme apporte des outils d’adaptation pour les organismes afin répondre à ce marché en pleine évolution.

Cette réforme, si elle apparaît positive sous de nombreux aspects n’a-t-elle pas crée de nouveaux risques pour les salariés ou les entreprises ?

Je ne perçois pas de nouveau risque quant aux salariés. Bien au contraire, ces mesures sont prises dans leur intérêt afin de faire évoluer positivement leurs compétences. Tous les choix sont possibles pour eux.

En revanche, la situation est plus complexe au niveau des entreprises. Pour exploiter les bénéfices de cette réforme, les entreprises vont devoir se réorganiser et se projeter sur une période à moyen et long terme en planifiant les objectifs de formation et en budgétant les moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Le plan de formation du personnel, au sens de plan de développement des compétences, deviendra plus que jamais un outil incontournable dans les mois et années à venir, et ce en relation toujours plus étroite avec les services financiers des entreprises.

Quant à celles qui occulteront ce paramètre par manque de temps ou d’intérêt, elles risquent de se retrouver dans des situations délicates et feront face à des risques de conflit social ou encore de baisse de performance. 

Les changements induits par la réforme sont ils en train de faire évoluer l’offre de formation?

En effet, l’offre de formation est dans l’obligation d’évoluer, devant la nécessité de parcours de formation plus adaptés, plus individualisés et plus identifiés. Depuis fin 2013, nous avons été extrêmement attentifs à cette réforme : nous nous doutions que notre métier allait évoluer et qu’elle nous obligerait à étendre nos domaines d’expertise à des domaines anciennement jugés annexes. Nous les avons intégrés et nous nous sommes adaptés.

Cela nous a permis de mettre en place des solutions conciliant ces nouveaux critères avec les contraintes financières et organisationnelles des entreprises, tout en continuant à accroitre le niveau qualitatif de nos formations : plus de modularité dans les parcours, développement de meilleurs outils de positionnement et d’évaluation, déploiement de formations certifiantes et qualifiantes et formation hors temps de travail. Cela nous a demandé un effort non négligeable tant au niveau de l’ingénierie pédagogique qu’en termes d’investissements financiers.

De son côté, l’entreprise devra elle aussi faire partie intégrante de cette dynamique d’évolution de l’offre de formation. Elle devra se montrer encore plus proactive à travers son plan de formation et sa gestion des compétences de ses salariés. Nous croyons fermement que l’une des clés pour l’entreprise se trouve dans la mise en place d’un nouveau levier d’action, à travers l’émergence de nouvelles responsabilités de ressources humaines, sous l’égide de la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). C’est la raison pour laquelle nous accompagnons les entreprises au travers de missions d’expertise et de conseil de sa fonction RH, en prenant en compte directement avec les nouvelles implications de la réforme de la formation professionnelle.

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Entretien conduit par Marine BOUINEAU
Membre du comité Risques et Entreprises de l’ANAJ-IHEDN
risques-et-entrepries@anaj-ihedn.org

 
 

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