Vers la fin du paradoxe énergétique iranien

Vers la fin du paradoxe énergétique iranien
Bilan et perspectives de la stratégie énergétique iranienne

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Alors que s’esquisse un début de normalisation des relations diplomatiques avec les pays Occidentaux[1] et que l’Iran semble s’insérer progressivement dans l’économie mondiale, l’heure est au bilan d’une stratégie énergétique inscrivant le nucléaire au cœur de ses préoccupations depuis près d’un demi-siècle.

Cheminée de torchage, dans le champ pétrolifère de la province de Khuzestan – © Dynamosquito 

Un sous-sol riche largement sous exploité

Roger Stern[2], chercheur à la Johns Hopkins University, rappelait déjà en 2007 le paradoxe iranien : un pays riche en ressources naturelles qui ne parvient cependant pas à les exploiter.

En effet, avec 10% des réserves prouvées de pétrole, le sous-sol iranien recèle la quatrième réserve mondiale derrière le Venezuela (18%), l’Arabie Saoudite (16%) et le Canada (11%)[3]. Pourtant, sa capacité de production n’a cessé de décliner au cours des dernières années pour tomber à 3,6 millions de barils par jour, alors que le quota autorisé par l’OPEP atteint 4,2 millions de barils par jour. Sa capacité de raffinage n’est guère meilleure[4] et l’Iran se voit ainsi contraint d’importer 40% de sa consommation d’essence[5].

Source : US Energy Information Administration, International Energy Agency

A l’instar des richesses pétrolières, le potentiel gazier iranien est gigantesque : l’Iran possède en effet 18% des réserves mondiales[6] et le plus grand gisement gazier offshore du monde, South Pars, s’étendant sur 10 000 km2. Mais, bien que détenteur des deuxièmes réserves mondiales de gaz, le développement gazier est embryonnaire et seules 5% de ces réserves sont exploitées à ce stade. En dépit de programmes ambitieux, l’Iran n’est pas parvenu à se hisser parmi les plus grands exportateurs de la planète et est même importateur net depuis 1997. En effet, les exportations demeurent limitées aux Etats voisins – Arménie, Azerbaïdjan, Turquie – et les projets d’exportation plus importants avec le Bahreïn, le Koweït, Oman, la Syrie, le Pakistan, l’Inde et l’Europe ont échoué ou sont restés inaccomplis[7].

Une stratégie énergétique centrée sur le nucléaire

Ce paradoxe iranien semble être la conséquence d’une politique énergétique centrée sur le nucléaire depuis plus d’un demi-siècle. En effet, dès les années 1950, l’énergie nucléaire a fait l’objet d’un intérêt tout particulier des autorités iraniennes qui y ont consacré des décennies d’efforts au détriment des autres énergies. En 1957, un premier accord de coopération dans le domaine du nucléaire civil est signé entre les Etats-Unis et l’Iran qui crée dans ce cadre le Teheran nuclear research centre[8]. En 1968, l’Iran adhère au traité de non prolifération et en 1974, le Shah déclare sa volonté de développer tout le cycle nucléaire. Il est alors prévu que 22 réacteurs soient construits au cours des décennies suivantes, des contrats sont signés avec des entreprises européennes et étasuniennes, tandis que l’Organisation de l’Energie Atomique d’Iran (OEAI) est créée. La révolution islamique a temporairement freiné les ambitions nucléaires iraniennes, mais les années 1990 sont marquées par un retour aux efforts d’enrichissement. En 1992, un accord de coopération avec la Russie prévoit la reconstruction de la centrale de Bouchehr, au sud-ouest de l’Iran, et des accords avec la Chine permettent à l’Iran de disposer d’uranium. Le programme nucléaire iranien alarme alors le Conseil de Sécurité des Nations Unies et les pays occidentaux, qui s’interrogent sur sa finalité, civile ou militaire. Pendant les deux décennies suivantes, des séries de sanctions, de plus en plus lourdes, sont alors prises, à la fois par le Conseil de Sécurité et par les Etats unilatéralement. [9]

Un bilan économique mitigé

Le coût direct et indirect de la poursuite de cette stratégie s’avère élevé. En premier lieu, elle n’a pas permis le développement de capacités techniques importantes dans le domaine du nucléaire. A ce jour, seule une centrale nucléaire est partiellement en fonctionnement, celle de Bouchehr, construite sur une zone sismique par la Russie, avec des transferts de technologie faibles.

Deuxièmement, elle a pénalisé les autres composantes du secteur de l’énergie iranien. L’Iran a perdu de nombreuses opportunités économiques se chiffrant à plusieurs dizaines de milliards de dollars dans les secteurs du pétrole et du gaz. Les sanctions et les fortes contraintes imposées ont peu à peu dissuadé les entreprises étrangères d’investir en Iran. Selon plusieurs experts, plus de 50 milliards de dollars d’investissement par an seraient aujourd’hui nécessaires à la modernisation des installations iraniennes[10].

A ces lourdes répercussions négatives, s’ajoutent des coûts indirects significatifs. Les sanctions économiques ont généré un exode des cerveaux important et ont abouti à l’impossibilité pour les étudiants iraniens d’étudier à l’étranger dans des domaines scientifiques de pointe.[11]

Par ailleurs, les choix énergétiques iraniens n’ont pas permis de développer de politique industrielle ambitieuse ni d’atteindre une croissance et un niveau de développement économiques satisfaisants. Alors que la Corée du Sud disposait dans les années 1970 d’un niveau de développement économique comparable à celui de l’Iran, le dragon asiatique est devenu, en renonçant à l’enrichissement de l’uranium, l’un des plus grands vendeurs de centrales nucléaires au monde, remportant notamment un gros contrat aux Emirats arabes unis[12]. A contrario, l’Iran semble atteint par le syndrome hollandais[13], faisant des ressources naturelles un fardeau pour le développement des pays qui en disposent. L’inflation galopante, le chômage croissant, particulièrement chez les jeunes, et le taux de pauvreté élevé génèrent des tensions fortes faisant craindre un soulèvement populaire.

Quelles perspectives ?

Si certains prédisent l’échec de négociations, comme l’avait déclaré le guide suprême Ali Khamenei à la veille des négociations le 17 février 2014[14], il n’en demeure pas moins que le processus de négociation parait bien engagé et que la levée partielle des sanctions permet aux autorités iraniennes d’envisager l’avenir plus sereinement.

Le scénario le plus probable parait donc, à ce stade, celui d’un apaisement et d’une normalisation progressive des relations avec les pays occidentaux, comme en atteste la déclaration conjointe de Catherine Ashton et du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif[15]. Dans un tel contexte, la levée des sanctions faciliterait le retour en Iran de nombreuses entreprises, permettant ainsi au pays de bénéficier des investissements dont il a besoin dans le secteur énergétique. Le groupe pétrolier et gazier français Total s’est ainsi positionné officiellement[16], d’autres candidats sont en lice et l’Iran vient de renforcer sa coopération dans le domaine énergétique avec la Russie[17].

Dans un tel scénario qui semblerait aujourd’hui se dessiner, la levée progressive des sanctions permettrait à l’Iran non seulement d’exploiter ses ressources actuelles de façon plus efficace et d’approfondir son potentiel en matière d’énergie renouvelable, mais aussi de s’intégrer pleinement dans l’économie mondiale, facilitant ainsi le développement d’une politique industrielle ambitieuse, à l’image de celle menée par la Corée du Sud ou la Norvège pour préparer dès aujourd’hui l’avenir des générations futures.

Nihal Salah
Membre du Comité Energies de l’ANAJ-IHEDN

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[1] Voir, par exemple, Clément Therme, L’élection présidentielle de 2013 : un premier pas vers la normalisation des relations entre l’Iran et la « communauté internationale » ?, CERI, mai 2013. Par ailleurs, lors du 44e Forum économique mondial de Davos du 22 au 25 janvier 2014, le président Hassan Rohani a déclaré que « l’Iran tend une main de paix et d’amitié à tous les pays du monde et souhaite des relations amicales et bonnes avec tous » réaffirmant la disposition de Téhéran à poursuivre la coopération avec le groupe des 5+1 pour son programme nucléaire.

[2] Roger Stern, The Iranian petroleum crisis and United States national security, in Proceedings of the National Academy of Sciences, 2007.

[3] British petroleum, Statistical review of world energy, 2014.

[4] L’Iran se classe à la douzième place du classement en matière de capacité de raffinage. British petroleum, Statistical review of world energy, 2014.

[5] Voir Fareed Mohamedi, The oil and gas industry, United States Institute of Peace, 2011.

[6] British petroleum, Statistical review of world energy, 2014.

[7] Pour une étude approfondie des différents contrats, voir David Ramin Jalilvand, Iran’s gas exports: can past failure become future success ?,The Oxford institute for energy studies, University of Oxford, juin2013.

[8] Le centre de recherches nucléaires de Téhéran est un centre de recherche et développement qui est contrôlé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et qui a défrayé la chronique dans les années 2000 concernant ses potentielles activités de recherche illicites.

[9]Outre le besoin d’indépendance énergétique et la complexité des institutions qui impose un partage des responsabilités entre différents acteurs en matière énergétique, cette stratégie semble avoir été déterminée par un sentiment de menace sécuritaire et une exigence de prestige sur la scène internationale. Pour une analyse détaillée des déterminants de la stratégie énergétique iranienne, voir : Robert J. Reardon, Containing Iran : strategies for addressing the Iranian Nuclear Challenge, RAND, Washington, 2012.

[10] Voir, par exemple, Dir. DjamchidAssadi, La rente en république islamique d’Iran, L’Harmattan, 2012.

[11] Abbas Milani, A nuclear energy program that benefits the Iranian people, Bulletin of atomic scientists, janvier 2014.

[12] Voir le communiqué de presse de l’Emirates nuclear energy corporation, 2009.

[13] Le syndrome hollandais ou malédiction des matières premières est un phénomène qui lie exploitation des ressources naturelles et désindustrialisation. Il est apparu dans les années 1960 aux Pays-Bas.

[14] L’Ayatollah Ali Khamenei, chef suprême spirituel et politique, avait alors déclaré que « Les négociations commencées par le ministère des Affaires étrangères vont se poursuivre et l’Iran ne viole pas son engagement mais je le dis dès maintenant, elles ne mèneront nulle part. La question nucléaire est un prétexte pour les États-Unis à leur hostilité à l’égard de l’Iran. Si un jour, la question nucléaire est réglée, ils évoqueront d’autres sujets comme ils le font maintenant avec les droits de l’Homme et les missiles balistiques », jetant ainsi une ombre propice à essaimer le doute à la veille des négociations avec le groupe des « 5+1 ».

[15]Déclaration conjointe de Mme Ashton, Haute Représentante de l’Union Européenne et de M. Zarif, Ministre des Affaires étrangères de l’Iran, 24 novembre 2013.

[16] Voir l’intervention du PDG de Total, Christophe de Margerie lors du Forum économique mondial de Davos 2014 qu’il co-présidait.

[17] Energie : Russie et Iran élargissent leur coopération, agence de presse russe Ria Novosti, août 2014.

Crédits photo : Opinion International

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